La Shiva Samhitâ est un texte classique d’Hatha-yoga, qui traite plus particulièrement de l’aspect philosophique et métaphysique de cette disciple.
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CHAPITRE I
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1 à 19 - « Il n’y a que la Connaissance qui soit éternelle car elle n’a ni début ni fin. Il n’existe aucune autre Réalité essentielle, bien que celle-ci ne soit pas perçue dans notre monde à cause de la limitation des sens. Cette limitation n’apparaît qu’à celui qui a la Connaissance et non aux autres. C’est pourquoi, Moi, le Seigneur, qui aime ceux qui suivent Ma Voie et qui accorde aux êtres vivants la Libération de l’esprit, je vais expliquer les principes du Yoga. Ceci est pour l’affranchissement spirituel des êtres qui ne suivent que Ma Voie et qui laissent de côté les croyances de ceux qui passent leur temps à la controverse et qui répandent des opinions produisant la fausse connaissance. Certains louent la vérité, d’autres l’ascèse et la pureté, d’autres encore la patience, d’autres enfin l’équanimité et la vertu. D’autres louent la charité, d’autres les sacrifices aux ancêtres, d’autres encore l’action, d’autres retiennent comme valeur absolue l’indifférence aux plaisirs du monde. D’autres louent les devoirs du chef de famille, d’autres considèrent le sacrifice comme essentiel, à commencer par celui du feu. Certains louent les paroles sacrées, d’autres les pèlerinages. En fait il est possible de montrer de multiples voies de salut. En étant ainsi impliqués dans le monde, même ceux qui savent distinguer ce qui est vrai de ce qui est faux tombent dans les griffes de la confusion, bien qu’ils soient purs. Ceux qui suivent toutes ces voies commettent de bonnes et de mauvaises actions qui les font errer aveuglés dans ce monde, pris dans le cycle des naissances et des morts. D’autres sages honorables, entièrement voués à la recherche de l’Invisible, déclarent que les consciences sont multiples, éternelles et omniprésentes. D’autres en vérité sont fermement convaincus qu’il n’existe que ce qui est perceptible par les sens et rien d’autre. Ils se demandent où sont le paradis et l’enfer. D’autres encore croient que l’univers est un flux de Conscience, d’autres que l’Essence unique est le Vide, d’autres que la Réalité est une réplique parfaite de l’Énergie et de la Conscience. Certains, ayant des opinions très diverses, entièrement détournés de la recherche suprême, d’après leurs propres expériences et ce qu’ils ont entendu, disent que cet univers existe sans Dieu. Tandis que d’autres affirment, en se basant sur de bons arguments, que Dieu existe. En fait le doute est permis sur son existence à cause de la multitude des affirmations à son sujet. Il est dit dans les Écritures que ces gens et d’autres ascètes encore, appelés de différentes façons et enseignant d’autres théories, ont amené la confusion dans le mental des hommes. Il n’est pas possible de se baser sur les opinions de ceux qui sont habitués à discuter sans fin à propos de toutes ces théories. C’est pourquoi tous les hommes errent ainsi dans le monde, se fourvoyant longtemps pour trouver la Voie de la Connaissance. La science du Yoga, unique méthode pour atteindre la Connaissance, est née de l’examen de tous les enseignements et de la vision intérieure concentrée. Le Yoga, une fois appris, procure une Connaissance profonde de tout, mais pour cela il faut s’en imprégner complètement afin de le maîtriser. Arrivé à ce niveau de maîtrise il n’est plus utile de connaître d’autres théories. Nous allons enseigner cette science secrète du Yoga, qui ne doit être révélée qu’à ceux qui se dévouent à cette recherche et dont le cœur est pur dans les trois mondes. »
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32 à 35 – « Quand le yogin intelligent a pris conscience de l’importance du karma-kânda (la voie de l’action), il y renonce. Il doit abandonner les notions de bien et de mal et entrer dans la voie du jnâna-kânda (la voie de la Connaissance). Les textes traditionnels affirment que l’on doit voir ou rechercher la Conscience, même dans ce qui la cache. Ces textes doivent être étudiés avec ardeur parce qu’ils confèrent la Libération, et guident sur la voie de la Connaissance. Cet intellect qui dirige le comportement de l’homme vers la notion de bien et de mal, c’est Moi (le Seigneur). Tout le monde composé d’êtres animés et d’êtres inanimés vient de Moi. Tout est une manifestation de Moi et tout se dissout en Moi. Je suis inséparable de ce monde et rien ne peut exister sans Moi. Dans les innombrables puits pleins d’eau se réflètent les rayons du soleil, bien que le soleil soit unique et toujours identique. De la même façon que dans les puits se trouve l’Essence absolue, qui est aussi le soleil, ainsi en est-il aussi dans les êtres où est présente la même essence que dans la Conscience. »
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49 à 59 – « Tout ce monde mobile et immobile est produit par la Conscience. C’est pourquoi le sage se réfugie en elle quand il a renoncé à tout. A l’image de l’espace, qui emplit l’intérieur et l’extérieur de la jarre, de la même façon la Conscience pénètre l’intérieur et l’extérieur de toutes choses. Comme l’espace qui ne mélange pas avec les cinq élèments composant la matière, de même la Conscience ne se confond en aucune façon avec les multiples choses. Tout le monde, en commençant par Îshvara est imprégné entièrement de la Conscience qui est Unité et Plénitude sans aucune dualité et composée par Sat (être), Cit (Conscience) et Ananda (Béatitude). C'est pourquoi la Conscience ne brille pas par autre chose qu'Elle même. Sa lumière irradie d'Elle-même car la nature de l'esprit est lumineuse. Puisqu'il n'existe dans la Conscience aucune limitation faisant référence au temps et à l'espace, Elle est réellement le Tout. Puisque la destruction ne s'applique qu'aux cinq éléments de la matière qui produisent l'erreur, il s'en suit que la Conscience est éternelle, et qu'elle ne peut être détruite. Puisqu'il n'existe rien au-delà de la Conscience, celle-ci est éternellement unique. Et puisque ce qui n'est pas la Conscience est irréel, il s'en suit qu'Elle est la Réalité ultime. Dans le samsâra, qui est empreint d'ignorance, la Félicité - qui n'est autre que la cessation de la douleur, et qui est sans début ni fin - vient de la Connaissance. C'est pourquoi la Conscience est Félicité. Puisque l'ignorance, cause de l'univers, est détruite par la Connaissance, il s'en suit que la Conscience est Connaissance et qu'elle est éternelle. L'univers, qui est la multiplicité, tire son origine du temps alors que la Conscience est éternellement unique et étrangère à toute tentative de définition. »
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60 à 67 – « Tous les éléments (de la matière) sont détruits par l'usure du temps tandis que la Conscience, qui ne peut jamais être définie par des mots existe dans la parfaite non-dualité. Ni l'espace, ni le vent, ni le feu, ni l'eau, ni la terre, ni la combinaison des uns et des autres ne sont parfait, pas même Ishvara. Il n'y a que la Conscience qui soit parfaite. Lorsque le yogin a renoncé à tous ses désirs, et qu'il a abandonné les chaînes du monde illusoire, il reconnaît alors en Lui la Conscience par l'intermédiaire du Soi (Atman). Reconnue intérieurement grâce au Soi, la Conscience, qui est éternelle, et qui a comme qualité la Félicité, grâce à l'intensité provoquée par le samâdhi produit la jouissance dans l'être humain détaché de tout. Il n'y a que mâyâ qui soit la matrice de tout. Lorsqu'elle disparaît grâce à la prise de conscience de la Réalité toutes les apparences disparaissent. Celui qui comprend que tout ce monde n'est que l'oeuvre de mâyâ n'éprouve plus de joie ni dans les richesses, ni dans la jouissance du corps, ni dans les plaisirs mondains. »
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66 à 68 – « Le monde nous apparaît sous trois aspects : ennemi, ami, indifférent. C'est ainsi et non pas autrement que se déroule la vie de chacun. On retrouve la même distinction d'ennemi, d'ami et d'indifférence dans tous les éléments de la nature. En fait la Conscience, à travers la limitation corporelle, devient fils, père, mère, etc. Une fois que le yogin a compris, grâce à la Révélation intérieure, que tout l'univers est une oeuvre de mâyâ, il doit détruire cette illusion, qui ne produit que l'erreur, et refuser les croyances fausses. »
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68 à 74 – « Quand l'être humain devient libre de toutes les limitations il peut se voir fait uniquement de Connaissance et parfaitement pur. Le Purusha crée les êtres par la puissance de sa volonté, et c'est de là que naissent l'ignorance et l'erreur. Liés temporairement dans cette création le pur Brahman et l'ignorance s'accouplent. De cette union naît Brahmâ qui crée à son tour akâsha (l’éher). De celui-ci vient le vent, du vent le feu, du feu l'eau, de l'eau la terre, telle est l'émanation. Le vent est créé par l'espace ; le feu est créé par l'espace et le vent ; l'eau est créée par l'espace, le vent et le feu ; la terre est créée par l'espace, le vent, le feu et l’eau. La qualité de l'espace est le son, celle du vent est le mouvement et le toucher, celle du feu est la forme, celle de l'eau est le goût, celle de la terre est l'odorat. Voilà la Réalité. On dit que l'espace a une qualité, que le vent en a deux, que le feu en a trois, que l'eau en a quatre et que la terre en a cinq : son, toucher, forme, goût et odeur. Voilà ce qu'ont dit les sages. »
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75 à 78 – « La forme est perceptible par l'oeil, l'odeur par le nez, le goût par la langue, le toucher par la peau, le son par l'oreille. Ceci est une certitude. Tout ce monde composé d'être mobiles et immobiles vient de la Conscience. Que les apparences soient vraies ou fausse est une question de point de vue, par contre il est sûr que la Conscience existe. La terre devient subtile et disparaît dans l'eau, l'eau dans le feu, le feu dans l'air, l'air dans l'espace et l'espace s'évanouit dans l'ignorance qui elle-même disparaît dans l'Absolu. »
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79 à 82 – « Il existe deux énergies, vikshepa et âvaranâ qui sont illimitées et dont la forme est la Béatitude. La grande mâyâ, quand elle se présente sous son aspect non conscient, a trois qualités qui sont sattva, rajas et tamas. Quand cette grande mâyâ non consciente est animée par l'énergie âvaranâ, le monde des formes se manifeste par le pouvoir de l'énergie vikshepa. Quand l'ignorance a un excès de tamas l'énergie se manifeste sous la forme de Durgâ ayant comme maître Îshvara. Quand c'est sattva qui domine la belle Lakshmî se manifeste ayant comme maître Vishnu. Quand l'ignorance a en excès rajas c'est Sarasvatî qui agit ayant comme maître Brahmâ. »
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83 à 87 – « Tous les dieux sont dans la sphère de l'Absolu. Mais les corps, la matière inanimée, et tout le reste sont dans la sphère de l'ignorance. C'est de cette façon que les sages ont décrit l'origine de l'univers. Tattva et attatva apparaissent-ils ainsi de différentes manières. Toute chose apparaît comme objet de connaissance, et la différence réside uniquement dans les mots et les noms qui les définissent et pas ailleurs. En fait rien n'existe à part l'Absolu qui crée l'apparence. On croit que les choses ont une réalité parce qu'elles ont une forme qui semble réelle. L'Absolu, qui n'est que Béatitude et Plénitude, origine de toutes choses, est le seul à exister. Celui qui arrive à rester constamment dans cette perception est libéré de la mort, du samsâra et de la souffrance. »
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88 à 91 – « Quand on a pris Conscience de l'état illusoire des perceptions et que toute croyance fausse a été éliminée, alors tout se dissout, et il ne reste plus que l'Absolu. Plus rien d'autre ne peut émaner des pensées. La Conscience se réincarne, en accord avec les traces des vies passées, dans un corps physique issu d'un père. Les sages considèrent que ce superbe corps est fait de douleur parce que la Conscience doit y expérimenter ce qui n'a pas encore été fait dans le passé. Ce temple fait de jouissance et de souffrance, de chair, d'os, de tendons, etc., parcouru par tout un réseau de veines, existe en fait pour jouir de la souffrance. Ce corps, issu du merveilleux Brahmâ, composé des cinq éléments, que l'on appelle oeuf de Brahmâ, sert à expérimenter la souffrance et la joie. »
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92 à 96 – « Bindu est Shiva, Rajas est Shakti. De l'union de cette Conscience immobile et de cette énergie naissent spontanément toutes les créatures. Tous les innombrables objets visibles qui sont dans le monde sont le fruit du mélange des cinq éléments. Sous l'effet du karma la Conscience incarnée se trouve prise en eux. Tout dérive des cinq éléments et le jîva est condamné à jouir des fruits de leurs actions. C'est Moi (le Seigneur) qui détermine l'union du jîva et du corps en accord avec le karma passé. La Conscience individuelle n'est pas limitée et avec le corps matériel elle expérimente les conséquences des actes. La Conscience individuelle (jîva) qui est liée à l'enchaînement de la matière par l'effet de son propre karma est nommée de différentes façons. Ainsi on se réincarne dans le monde sous l'effet du pouvoir de Brahmâ afin de trouver l'expérience dans l'action. Quand la Conscience individuelle a épuisé les potentialités de son karma elle peut se dissoudre dans l'Absolu. […] »